13- La cérémonie chamanique, un message pour Kalysse

Sur la route qui mène vers la maison de son oncle, Kalysse ne dit rien, elle regarde les paysages défilés. Ses parents discutent entre eux de la cérémonie. Elle ne les écoute pas. Elle sait bien pourquoi elle voulait y aller, elle n'avait pas envie de se retrouver seule. Elle avait déjà connu ces longues heures de solitude à la maison à les attendre, et là, avec tout ce qui venait de lui arriver, elle n'avait vraiment pas envie de se retrouver face à elle-même et au souvenir de cette soirée. Toutes les excuses étaient bonnes pour sortir, pour voir et penser à autre chose.

Une fois, la voiture arrêtée, Kalysse faillit ne pas reconnaître la maison de son oncle. Elle est en piteux état. C'est une vieille maison en bois, elle appartenait, à l'origine, à ses grands-parents, c'est celle où son père avait grandi, elle y venait souvent quand elle était plus jeune. La façade a perdu ses couleurs, certaines planches sont abimées et cassées. Pourtant, cette maison, loin d'être abandonnée, grouille de monde, notamment aujourd'hui. Tous les autres membres de la famille sont déjà là. Tous sont surpris de voir Kalysse.

Ses tantes s'extasient devant elle : "Qu'est-ce qu'elle a changé ! Et qu'est-ce qu'elle est jolie !"

Certaines lui demandent si elle a continué ses études. Elle leur répond que oui et qu'elle en a encore pour un bon bout de temps. Dans sa famille paternelle, elle est la seule à avoir continué après le bac. Sa cousine la plus diplômée est coiffeuse.

Kalysse s'était toujours sentie mal à l'aise dans cette famille, elle n'avait pas beaucoup de point commun avec eux, leurs discussions tournaient court. Et pourtant, aujourd'hui, Kalysse n'a pas envie de se prendre la tête avec toutes ces considérations, elle a envie de parler. Elle discute avec ses tantes et ses cousines. Ensemble, elles parlent coiffures, shopping, petits copains. Ses tantes ne comprennent pas qu'une jolie fille comme Kalysse, n'ait pas de petit ami. "Tu finiras par trouver chaussure à ton pied," lui dit l'une d'entre elles.

En se tournant vers la porte d'entrée, Kalysse remarque que le chaman est arrivé, il se distingue des autres car c'est le seul à porter la tenue traditionnelle. Il regarde l'assemblée, quand il voit Kalysse, il la regarde fixement et ne dit rien. Elle se sent toute bizarre, ce regard lui donne froid dans le dos. Elle, qui ne voulait pas se prendre la tête, commence à stresser, elle appréhende ce qu'il va se passer. Elle sent au fond d'elle qu'il va se passer quelque chose dans cette cérémonie, quelque chose de fort qui va la toucher personnellement. Elle espère juste qu'elle ne va pas regretter d'être venue.

La cérémonie va commencer, chacun est invité à prendre place dans l'arrière cour où tout est installé. Certaines tantes, les plus âgées, ont mis leurs châles traditionnelles. Kalysse se met tout au fond, elle ne tient pas du tout à ce qu'on la remarque.

Le feu est allumé. La fumée commence à monter. Quand le son des maracas du chamane retentit, Kalysse s'aperçoit que ce son résonne au fond d'elle, pourtant si loin dans sa mémoire, il semble si familier en cet instant. La prière commence dans la langue ancestrale que Kalysse, comme tous les autres membres de l'assemblée, ne comprend pas, c'est la langue des esprits. Le rituel se poursuit selon la tradition avec chant, libation, prières. Si les jeunes sont parfois distraits et regardent à droite et à gauche, les plus âgés se recueillent avec ferveur. La cérémonie dure une vingtaine de minutes. A la fin, certains vont s'adresser personnellement au chaman pour parler de leurs problèmes. Il les écoute et consulte les esprits en fumant son cigare traditionnel pour savoir ce qu'il doit faire pour les aider. Tout le monde reste dans l'arrière cour et écoute. Quand ils ont fini, chacun regagne sa place. Soudain, le chaman se tourne vers Kalysse et lui demande d'avancer. Elle reste immobile, elle se dit qu'il doit s'agir d'une erreur. Son père la regarde et l'incite à s'avancer vers le chaman. Elle obéit et s'approche de lui.

Le chaman prend le cigare, le fume et lance un écran de fumée sur son visage. Kalysse ferme les yeux par réflexe et il poursuit :

- Le chemin que tu as pris pour le travail te mènera loin. Un beau destin t'attend. Tu vas accomplir de grandes choses pour ton pays et ton peuple…

Kalysse ouvre de nouveau les yeux, après quelques secondes d'hésitation, elle ose lui demander :

- Et en amour, est-ce que je vais rencontrer quelqu'un de sérieux ?

Elle se trouve un peu nulle de lui poser cette question mais elle se dit :"Pour une fois que je suis là, autant que j'en profite !"

Le chaman tire de nouveau sur son cigare et lui répond :

- Tu peux partir, courir, faire ta route, tous les chemins te mèneront inévitablement vers celui qui est fait pour toi.

- Qui est-ce ? Comment savoir que c'est lui ?

- Ecoute ton cœur et le serpent te montrera celui qui est fait pour toi au moment venu.

Sur cette phrase plus que mystérieuse, Kalysse remarque que le chaman est en train de fixer son pendentif. Elle l'avait gardé depuis la soirée. Il touche la pierre et lui dit :

- Cette pierre a les yeux fermés. Je vais les ouvrir pour qu'elle puisse te protéger partout où tu iras et attirer à toi ce qui a de meilleur pour toi.

Kalysse regarde son père qui lui fait comprendre qu'elle doit enlever son pendentif pour le donner au chaman, ce qu'elle fait.

Le chaman prend le pendentif et le nettoie dans l'eau, il trempe la pierre dans le cachiri et la fait traverser la fumée par un mouvement circulaire comme un pendule, puis il prend de la cendre et y inscrit quelque chose avec son doigt comme un symbole et la rend à Kalysse.

- Garde cette pierre toujours avec toi.

Kalysse le remercie et regagne sa place. Tout le monde la regarde. Elle même n'arrive pas à bien réaliser ce qui venait de lui arriver.

Le chaman secoue une dernière fois les maracas et clôture ainsi la cérémonie.

En rentrant Kalysse écoute ses parents qui essaient de lui expliquer que le chaman a dû avoir des visions à son sujet. Ils sont très heureux pour elle. Même si elle était bouleversée par tout ce que lui avait dit le chaman, elle est heureuse d'avoir eu ce message . Elle ne saisit pas encore le sens de tout ce qu'elle a entendu mais elle est confiante. Elle serre son pendentif entre ses mains. Les paroles du chaman reviennent dans sa tête comme une parabole : Tous les chemins la mèneront vers celui qui est fait pour elle…, un serpent, quel serpent ? "Je suis bien avancée avec ça !" Elle préfère ne pas y porter plus d'attention. "Advienne, ce qui doit advenir !" se dit-elle.