C'est le matin, Kalysse sent une légère brise caresser son visage. Elle ouvre les yeux tout doucement et constate alors qu'elle n'est pas dans sa chambre.
- Mais où est-ce que je suis ? se demande-t-elle
Elle se redresse en sursaut, tourne la tête et elle voit Dan à côté d'elle qui lui sourit en disant :
- Bonjour ma Belle au bois dormant !
Kalysse se rappelle alors qu'elle était venue avec Dan ici sur ce toit pour manger des pizzas. Elle n'arrive pas à croire qu'elle a passé la nuit là sur ce matelas.
- Ne me dis pas que je me suis endormie ici ? s'exclame-t-elle.
- A ton avis ? lui répond Dan.
- Pourquoi tu ne m'as pas réveillé ?
- Je n'ai pas osé te réveiller car...
Soudain, des bruits de voix se font entendre, Dan stoppe net son explication. La porte s'ouvre, deux garçons et une jeune fille débarquent sur le toit. Quelle surprise pour eux de découvrir Dan et Kalysse là sur le matelas, ils sourient face à cette scène très embarrassante. Kalysse et Dan sont vraiment gênés. Le plus grand des deux garçons, un guyanais s'adresse à Dan :
- On dirait qu'on a dérangé les amoureux !
- Dan, je comprends mieux pourquoi t'as quitté le terrain si vite hier soir, rajoute l'autre garçon.
Tous les trois rigolent.
Dan leur répond par un sourire honteux. Kalysse comprend qu'il s'agit de ses coéquipiers de rugby. Dan se lève, se tourne vers elle et lui tend la main pour l'aider à se relever. Puis, il garde sa main dans la sienne et lui dit :
- On va descendre.
Kalysse acquiesce en hochant la tête.
- On voulait pas vous faire partir, rajoute son coéquipier guyanais.
Dan lui répond :
- De toute façon, on allait descendre.
Dan les regarde, hésite, puis il se décide à faire les présentations :
- Kalysse, je te présente Jérôme, Kévin et Léa. Tu as dû le comprendre, ils font partis de l'équipe de rugby d'ESIRA.
Puis, en regardant le petit groupe d'amis, il leur présente Kalysse :
- Je vous présente Kalysse, ma copine.
- Enchanté ! répond Jérôme, le guyanais en lui faisant son plus beau sourire.
- Enchantée ! Quel cachotier ce Dan ! Il cachait bien son jeu sous ses airs de garçon solitaire et sans attache ! lance Léa.
- Personne ne se doutait que Dan avait quelqu'un, ça alors ! On est sur le cul mais vraiment contents de te rencontrer Kalysse, renchérit Kévin.
- Faut que vous arrêtiez de mettre des étiquettes sur la tête des gens ! leur répond Dan en souriant.
Il leur souhaite une bonne journée et se précipite vers la porte entraînant Kalysse derrière lui. Ils descendent jusqu'à sa chambre et la fait entrer. Une fois la porte refermée derrière eux, contrit, il s'excuse :
- Je suis désolé, je sais que c'était très embarrassant comme situation, lui dit-il
- C'est pas ta faute, tu ne savais pas qu'ils allaient monter.
- Tous les trois, ils sont en dernière année à ESIRA. Ils ne me connaissent pas vraiment. J'espère que ça ne te dérange pas qu'ils t'ont vue comme ça.
- On était tout habillés. C'est pas grave. On n'a fait que dormir ... n'est-ce pas ?
Dan la regarde, sourit et lui répond :
- Rassure-toi Kalysse ! On n'a fait que dormir... Et puis, si on l'avait fait, tu n'aurais jamais pu l'oublier.
- Quel prétentieux ! s'exclame Kalysse en souriant.
Dan et elle s'asseoient sur les chaises près de la petite table ronde au milieu de la pièce.
- Tu veux un café ? lui propose-t-il.
- Non, je ne prends jamais de café, lui répond Kalysse.
- Moi non plus, je n'en prends jamais. Mais je pense que ce matin, je devrais en prendre un.
- Si tu en prends, ok, prends-un aussi pour moi.
Dan sourit et n'ayant pas de café dans sa chambre, il va en chercher au distributeur qui est dans le hall d'entrée de la résidence.
Kalysse profite de son absence pour inspecter les lieux. La chambre de Dan est surprenante, elle ne s'attendait pas du tout à ça. Plus elle traverse la chambre, plus elle est sidérée. Elle pensait se retrouver dans une chambre de garçon un peu bordélique avec des vêtements jonchés à droite et à gauche, des affaires fanées un peu partout... Mais rien de tout ça, la pièce est parfaitement bien rangée, rien sur la table, rien sur le bureau, rien dans la poubelle, rien sur le lit fait au carré. Pas une photo, pas une affiche sur les murs, tout est impersonnel, tellement qu'elle trouve ça vraiment étrange. Elle ouvre le placard et là, tous les vêtements sont repassés et bien pliés en quatre sur les étagères, les chemises sont sur les cintres, les chaussures toutes bien alignées. Tout est à sa place, rien ne dépasse, rien ne déborde. Elle referme le placard. Curieuse, elle s'avance vers la salle de bain, elle fait le même constat : tout est propre et bien rangé. Elle se regarde dans le miroir, elle s'interroge : "Cette chambre est si bien rangée, si nickel que ça fait vraiment "too much". Je trouve ça flippant !"
Tout à coup, elle l'entend arriver dans la chambre.
- Je suis dans la salle de bain, lui dit-elle.
Elle passe un peu d'eau sur son visage et le rejoint.
Elle le retrouve assis sur la chaise avec les deux gobelets de café. Elle sourit et lui demande :
- Pourquoi tu voulais prendre un café aujourd'hui ?
Il hésite et se lance :
- J'ai passé une grande partie de la nuit à te regarder dormir. Tu es très jolie quand tu dors.
- Tu aurais quand même dû me réveiller, lui reproche-t-elle.
- Je suis désolé, j'ai pas osé... Et puis, j'avais envie de te garder pour moi, rien que pour moi toute la nuit.
Kalysse l'écoute, Dan se révèle être quelqu'un de très possessif. Elle a le sentiment étrange que si elle reste là, elle va finir comme toutes les affaires de cette chambre, bien rangée et à sa place. Cette pensée l'effraie et, lui est insupportable.
Kalysse boit son café en vitesse et elle lui dit qu'elle doit partir.
- Il est encore tôt, Kalysse, il n'est pas encore 7 heures.
Dan la regarde. Il voit que ça ne va pas. Il demande alors :
- Qu'est-ce qui ne va pas, Kalysse ? Je sens qu'il y a quelque chose.
Kalysse le regarde mais n'ose pas lui faire part de ses craintes. Elle tente en vain de le rassurer :
- Il n'y a rien, je dois juste rentrer. Mon père ne va pas tarder. Il arrive parfois tôt le samedi.
Dan la regarde. Il commence à la connaître, il sait qu'elle ne lui dit pas tout et qu'il y a autre chose.
- Il y a quelque chose que j'ai dit ou fait qui ne t'a pas plu ? relance-t-il.
- Non, pas du tout.
Kalysse le regarde, elle sent qu'il ne se contentera pas de cette réponse, elle se décide à parler :
- C'est ta chambre. Je ne pensais pas que ta chambre serait comme ça !
- Ma chambre ? Mais tu rigoles là ! Elle doit être comme la tienne, non ? C'est un modèle standard, je crois.
- Oui mais je ne pensais pas que ce serait si ordonné, si bien rangé et si impersonnel.
- Oui, j'ai jamais eu vraiment le temps de faire la déco, plaisante-t-il.
- Et ce lit au carré ! Tu viens d'une famille de militaire ou quoi ?
- Non, mais tu y es presque... J'ai fait un lycée militaire... Alors oui, j'ai des restes.
- Tu as fait un lycée militaire ? reprend Kalysse surprise.
- Oui.
- Je comprends mieux maintenant, ça explique pourquoi c'est si bien rangé, si ordonné.
- J'espère que ça ne te fait pas peur.
- Pour te dire la vérité, j'ai trouvé ça un peu flippant.
- Flippant ?
- Je sus désolée, Dan. C'est peut-être à cause de toutes ces séries policières que j'ai regardées mais quelqu'un de trop clean cache toujours quelque chose de terrifiant.
- Ouh ! C'est vrai que vu comme ça, je me fais peur à moi aussi, répond-il en souriant.
Kalysse sent alors qu'elle y est allée un peu fort. Elle tente de rattrapper le coup :
- Pourquoi as-tu fait un lycée militaire ? Tes parents t'y ont forcé ?
- Non, pas du tout, bien au contraire. Antimilitaristes, ils étaient contre tous les deux. Mais c'était mon choix. Comme j'étais fixé sur mon projet de devenir un jour astronaute, j'ai étudié toutes les possibilités qui s'offraient à moi. Le lycée militaire était le seul lycée qui me permettait d'avoir un niveau scolaire et sportif que les autres lycées ne m'aurait pas permis d'atteindre.
- C'était dur, non ?
- Oui, surtout au début, et après, on s'habitue.
- Racontes-moi. Il n'y a pas de tel établissement ici.
- Ok, si tu veux. Dès que je suis arrivé là-bas, ils m'ont attribué un matricule. J’étais le 1978C. Ils nous ont parlé du réglement et ce qu'ils attendaient de nous, et dès le lendemain, ça a commencé. Tous les matins, un militaire faisait une revue des chambres. Tant que tous les lits n’étaient pas faits correctement, personne ne quittait la chambre. Je peux te dire que moi qui n'avais pas l'habitude de faire mon lit à la maison, j'ai vite appris à faire mon lit au carré. On a appris à marcher au pas comme de vrais militaires dans tous les sens du terme. Pour le reste, on avait tous les cours comme les autres lycées mais on faisait deux à trois heures de sport en plus tous les jours. C'était très dur pour moi car j'étais un gringalet à l'époque, j'étais la cible de moqueries et de bizutages. Mais je ne pouvais pas, je ne voulais pas abandonner. Je restais concentrer sur mon objectif et je m'entraînais secrètement la nuit ou dès que j'en avais l'opportunité. Je faisais des pompes et des tractions. J'ai pu rapidement acquérir un excellent niveau de résistance physique et j'ai fini par devenir l'un des meilleurs de ma classe en sport. C'est d'ailleurs en seconde que j'ai commencé le rugby.
Kalysse n'en croit pas ses oreilles. Elle, qui n'avait connu que le lycée publique très ouvert de Cayenne et qui se plaignait souvent des règles et des restrictions, était loin d'imaginer qu'il y avait des établissements aussi durs. Elle soupire.
Dan la regarde et sourit :
- C'est fini maintenant. Quand on m'a dit que le réglement d'ESIRA était très strict, tu comprends que ça m'a fait sourire.
- Oui, je comprends.
- Après mon lycée, ils m'ont proposé d'intégrer l'école de l'air et de l'espace. Je n'ai pas longtemps hésité avant de m'inscrire ici. ESIRA, c'est largement mieux. C'est moins militarisé mais tout aussi sérieux. Et avoir la base de lancement à proximité, c'est vraiment génial !
- Moi, je n'aurai jamais pu supporter le lycée militaire, lance Kalysse. Je comprends maintenant pourquoi tout est si propre et si bien rangé. Tu attendais que je te fasse la revue, on dirait !
Dan sourit.
- Alors, comment trouvez-vous ma chambre, Sergent-chef Kalysse ?
- Tout est parfait, vraiment parfait, ça ira pour aujourd'hui, répond Kalysse toute amusée.
Dan approche sa bouche et l'embrasse. Son baiser a le goût du café. Il regarde Kalysse et lui avoue :
- J'ai très envie de voir cette chambre en désordre et ce lit tout dérangé.
Kalysse comprend tout de suite à quoi il fait allusion. Elle voit son désir dans son regard. C'est comme un feu qui l'attire et la brûle à l'intérieur. Ils se rapprochent l'un de l'autre et s'embrassent langoureusement... Le corps de Dan réagit presqu'automatiquement à ce baiser, il a une folle envie d'elle, il la veut si fort. Pourtant, il sent qu'il faut qu'il s'arrête... Il détache sa bouche de la sienne et lui dit en la regardant dans les yeux :
- Je m'arrête là... J'espère que ça t'a donné envie de revenir dans cette chambre impersonnelle et trop bien rangée d'un ancien élève militaire.
- Oui, je pense que je reviendrai refaire une revue dans cette chambre très, très bientôt ! s'exclame Kalysse en se pinçant les lèvres d'envie.
Ils se sourient et tous les deux sortent de la chambre pour se rendre à la résidence de Kalysse. Dan tente de grapiller le maximum de temps en sa compagnie, il lui achète un petit-déjeuner à la cafétaria. Puis, il donne son numéro pour qu'elle l'appelle ce week-end car il sait qu'il va trouver le temps très long jusqu'à dimanche après-midi. Kalysse promet de l'appeler dans la soirée. Dan la laisse regagner sa chambre après un dernier baiser. Il sent que Kalysse commence à prendre beaucoup de place dans sa vie, presque toute la place.